EXCLU - Pierre Villepreux : «On a manqué d’ambition dans le jeu»
Romain Amalric -
Journaliste
Journaliste depuis 20 ans, je suis homme de terrain de Canal+ sur le Top 14 et la ProD2 et correspondant pour Radio France

A quelques heures du dénouement de cette Coupe du monde, Pierre Villepreux, légende du rugby, nous livre son analyse. L’ancien joueur et entraîneur du XV de France donne également son avis sur l'élimination des Bleus, le jeu pratiqué, et la finale Nouvelle-Zélande – Afrique du Sud.

Pierre, avez-vous digéré l’élimination des Bleus en quart de finale ?
On est bien obligé de la digérer. Et de se dire que les ambitions et les moyens qui avaient été donné à cette équipe pour arriver un peu plus loin n’ont pas suffit. Ce qu’on voulait ne s’est pas produit. Toutes les raisons qui font que la France a échoué ont déjà été analysé, expliqué, répété… Je pense qu’il y avait la place de passer. Surtout avec cette première mi-temps qu’on a très largement dominé. Et on pouvait arriver avec un écart de points conséquent. Ce qui aurait permis de passer ce tour-là. D’un côté, la France n’a pas trop grand-chose à se reprocher. Elle avait gagné tous ses matchs précédents, quelques fois bien, quelques fois un peu moins bien. Mais elle est tombé sur une équipe Sud-Africaine telle qu’on la connaît. Avec une stratégie bien établie, qui a fait la différence en fin de match.

Au moment du match, de l’évolution du score, de l’arbitrage, que vous êtes-vous dit ?
Rien au niveau de l’arbitrage en tout cas. Je pense qu’il faut savoir s’adapter. Les joueurs sont suffisamment grands pour s’adapter au style d’arbitrage qui a été donné par le Néo-zélandais, qui a l’habitude dans l’hémisphère sud de laisser plus de temps dans les rucks pour la possession du ballon. Et à ce niveau-là, il y a eu certainement des erreurs, pas seulement de l’arbitre, mais aussi des joueurs. Si on ne regarde que l’arbitrage, on peut dire tout ce qu’on veut. Mais il faut faire avec. Je me rappelle en 1999, quand on joue la demi-finale contre la Nouvelle-Zélande. Selon moi, et même selon Jean-Claude Skrela, on est mal arbitré par l’arbitre anglais. Et pourtant à la mi-temps il s’est fait sifflé par les spectateurs anglais. Et on avait dit aux joueurs : « essayez de vous adapter à son style ». Et finalement, il a été plutôt clément avec nous en deuxième période et on a gagné le match. Donc je crois qu’il faut savoir s’adapter. Parce que Ben O’Keefe a été cohérent. Il n’a pas changé tout d’un coup.

N'a-t-on pas perdu notre sang froid durant le match ?
Oui, notre confiance s’est délitée parce que les Sud-Africains nous ont mis de la pression et que le rapport de force a changé. Là où on était dominant, on est devenu dominé. Et tout d’un coup l’unité qu’on avait eu en première mi-temps a disparu. A la sortie on perd le match sur des bricoles, sur presque rien, sur des détails.

« Le spectacle n’existe que quand il y a du mouvement »

Cette expérience peut-elle servir pour l’avenir ?
Oui, cela va servir. Mais d’ici quatre ans, de l’eau sera passé sous les ponts. Les règles auront peut-être évolué. Le Tournoi des 6 Nations va nous apporter son lot de changements, dans l’équipe, dans le mode de jeu. C’est très difficile de dire. Un match n’est jamais identique à un autre. On est toujours dans des scenarii qui sont différents.

Vous qui êtes un adapte du jeu. Est-ce que les Bleus ont manqué d’ambition sur l’aspect offensif ?
Oui, on a manqué d’ambition dans le jeu. Contrairement aux Néo-Zélandais ou aux Irlandais qui, dans la possession, démontrent cette capacité à entretenir ce mouvement d’ensemble des joueurs, la France n’a pas démontré avoir ses capacités-là. Les alternances entre le jeu devant et le jeu derrière, ne sont pas souvent réalisées. Sauf contre l’Italie, c'était un bon match. Mais autrement, ce sont nos limites. Contre l’Afrique du Sud, il n’y a pas eu vraiment de lancement de jeu. Ou seulement avec les avants qui initient quelque chose, mais cela ne rebondit pas derrière…

En termes de jeu, cette Coupe du monde a-t-elle été à la hauteur ?
Il y a eu des hauts et des bas. Les nations les moins bonnes ont connu des difficultés. Sauf le Portugal, qui a démontre par un jeu de mouvement très accompli qu’il y avait de la place pour faire circuler le ballon. Même en jouant contre les meilleurs. Eux ont été battu par manque d’expérience au plus haut-niveau. Mais sur le fond, le style et la forme de jeu, j’ai trouvé ça très bien. Et l’Uruguay ce n’était pas si mal non plus. Il ne faudrait pas que ces nations soient porteuses d’un jeu intéressant et que les meilleures nations ne le soient pas. Le spectacle est indispensable au monde professionnel du rugby. Il faut qu’il soit présent. Le spectacle n’existe que quand il y a du mouvement, et pas quand on passe d’une touche à une autre, d’une mêlée à une autre, d’un regroupement à un autre en permanence.

« Je rêvais d’une finale France – Irlande !»

Malgré les performances des Portugais, nous n’avons pourtant pas encore la sensation que la hiérarchie du rugby mondial va évoluer dans les années à venir…
Non. Et même avec leur nouvelle compétition (la Nations Cup), il y aura toujours deux niveaux : les meilleurs, et les autres. C’est très compliqué parce qu’à mesure que les petites nations progressent, les autres progressent aussi. Donc l’écart reste toujours important. Il n’y a pas d’autres solutions pour eux que d’envoyer leurs joueurs jouer en Europe, comme l’ont fait les Argentins à l’époque. Mais aujourd’hui, avec la politique de JIFF en France, on n’a moins de place pour les étrangers. Et en plus nos jeunes joueurs sont bons. Il faut bien les faire jouer.

Pour la finale, en l’absence des Bleus, votre cœur penche-t-il pour les All Blacks ?
En l’absence surtout d’une nation européenne. Et ça c’est embêtant…

L’absence d’une nation du nord vous tracasse ?
Oui, bien sûr. Moi je rêvais d’une finale européenne. Je rêvais d’une finale France – Irlande ! C’était une finale qui tenait la route.

Même si cela avait été les Anglais ?
Non. Les Anglais, ils ont eu la chance d’être dans une poule facile, ce qui leur a permis d’en arriver là. Mais ce n’est pas par le jeu…

Donc pour la finale, votre préférence va-t-elle pour les All Blacks en raison du jeu pratiqué ?
Exactement. C’est tout. Je suis pour celui qui jouera le mieux. Et donc je pense que la Nouvelle-Zélande, si elle peut pratiquer le rugby qu’elle a parfois pratiqué sur cette Coupe du monde, elle devrait gagner ce match. Et ce serait bien pour le rugby.

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