EXCLU - Abdelatif Benazzi : «Ce XV de France a le potentiel pour être champion du monde»
Alexis Bernard -
Rédacteur en chef
Footballeur presque raté, j’ai choisi le journalisme car c’est l’unique profession qui permet de critiquer ceux qui ont réussi. Après avoir réalisé mon rêve de disputer la Coupe du Monde 2010 (en tribune de presse), je vis de ma passion avec le mercato et les grands événements sportifs comme deuxième famille.

Le 17 juin 1995, Abdelatif Benazzi pense inscrire l’essai de la victoire lors de la demi-finale de Coupe du Monde contre les Springboks, mais l’arbitre le refuse. L’Afrique du Sud remporte quelques jours plus tard sa première Coupe du Monde sur ses terres dans un contexte politique historique. 27 ans plus tard, l’action d’Abdelatif Benazzi est toujours légendaire. L’ancien capitaine du XV de France et la société Momentum décident alors d’immortaliser ce « moment » à partir de la technologie blockchain. Entretien avec un héros français.

Parmi les nombreux faits marquants de votre histoire, de votre carrière, il y a ce fameux essai de 1995. C’est le souvenir dont on vous parle le plus, encore aujourd’hui ?
Oui. Sans hésitation, c’est le seul qui me suit. J’essaie un petit peu de l’oublier mais c’est impossible. D’abord par les souvenirs. Et le contexte qui dépasse largement le sport. Quand je croise des gens, on me pose toujours la question de savoir s’il y a essai ou pas.

Est-ce le moment le plus fort de votre carrière ?
Sportivement, c’est un échec, on voulait être champion du monde. Émotionnellement et symboliquement, ça reste très fort mais j’ai le Grand Chelem de 1997 où je suis capitaine en tête. Je pense aussi à la double victoire contre les Néo-Zélandais chez eux en 1994, la demi-finale contre les Blacks en 1999 où l’on gagne après avoir été menés pendant presque 50 minutes. Mais j’ai toujours considéré le sport comme autre chose que le simple fait de gagner ou de perdre et ce moment de 1995 résume le mieux ma carrière et ma vision du Rugby.

« Je n’aurai jamais pensé pouvoir rencontrer Nelson Mandela »

Pour ceux qui n’auraient pas encore en mémoire, avec vos mots et vos souvenirs d’aujourd’hui, racontons-nous ce « moment » si particulier ?
C’est vraiment spécial, ça dépasse le sport et c’est ce qui est fabuleux. On n’est pas seulement là pour performer sportivement, le Rugby t’amène à rencontrer des personnes, à créer des relations, des souvenirs, ça te sensibilise à certaines actions et pousse à s’engager dans des actions humanitaires après sa carrière sportive. Je suis né en Afrique et je n’aurai jamais pensé pouvoir rencontrer Nelson Mandela, ni recevoir une lettre de sa part. Quand je repense à ce moment, je suis fier d’avoir participé à cette Coupe du Monde et à cet instant historique tant sportivement que politiquement. 

Pourquoi avoir accepter de faire entrer ce souvenir, votre moment à vous, dans une blockchain ?
Pour le partager. Pour montrer que le sport, c’est autre chose que de gagner ou de perdre, notamment pour les nouvelles générations. Ce n’est pas qu’un trophée ou une œuvre qu’on veut immortaliser et sacraliser, c’est un moment très symbolique qu’il fallait partager. Ma carrière est derrière moi mais il faut perdurer cette histoire à tous ceux qui aiment le sport et qui partagent cet état d’esprit.

« On accompagne des enfants en difficultés, ça les rend heureux. Et ça nous rend humbles »

Il y a énormément de symbole autour de la sortie de ce « Moment ». Le 11 février en hommage à la libération de Nelson Mandela et l’argent récolté ira au profit d’une association NOOR, chère à vous yeux. Racontez-nous.
Depuis que j’ai arrêté ma carrière, je me suis investi dans mon pays d’origine, notamment à l’est du Maroc pour accompagner les enfants scolairement et sportivement. L’association existe depuis 2002 et a accompagné plus de 3 500 enfants, construit et rénové 17 établissements scolaires et installations sportives. Elle contribue aussi au ramassage scolaire et organise l’Oriental Legends, un événement caritatif et touristique. C’est un projet réjouissant après une carrière sportive où l’on voit rencontre beaucoup du monde, on voyage, on acquiert de la notoriété et de l’argent. Il ne faut pas tout garder pour soi égoïstement, il faut pouvoir redistribuer dans un monde de plus en plus compliqué. On accompagne des enfants en difficultés, ça les rend heureux et ça nous rend humbles. Le 11 février est très symbolique. On avait visité la cellule de Nelson Mandela en Afrique du Sud. C’était une grande leçon de vie. Il sort de cette prison avec une sagesse exceptionnelle, sans esprit de revanche ce qui symbolise bien ce moment de 1995.

La France et l’Afrique du Sud, c’est toute une histoire. D’ailleurs, les Bleus viennent de battre les Springbocks. Quel match… Votre impression sur la rencontre ?
Connaissant les Sud-Africains, je savais que ça allait être un match très physique, ils mettent beaucoup de violence dans leur jeu. C’était quasiment leur dernier match de la saison, ils restaient sur une défaite et voulaient finir en beauté. J’ai beaucoup apprécié cette rencontre dans la dimension psychologique et mentale de l’Équipe de France malgré les nombreux aléas du match. Quand vous perdez trois joueurs sur blessures puis votre capitaine à 30 minutes de la fin et que vous parvenez à l’emporter, c’est que mentalement, un cap a été franchi. C’était un match différent des 11 derniers mais c’est un pas supplémentaire dans la dimension mentale de cette équipe. Je suis très content et très fier de la réaction des Bleus, de leur leadership et de leur calme. Ce genre de match, c’est comme une finale de Coupe du Monde, c’est le plus fort dans la tête qui gagne.

« A chaque ligne, on a des leaders de jeu et de combat »

A moins d’un an de la Coupe du Monde, ça sent bon pour le XV de France, non ?
Oui, je sais combien c’est important d’enchainer les victoires et de capitaliser en confiance. En 2003, les Anglais avaient gagné 10 rencontres consécutives avant d’arriver à la Coupe du Monde. C’est de bon augure. Il va y avoir un calendrier difficile pour le Tournoi des 6 Nations avec trois matchs à l’extérieur qui va encore forger le groupe. On a le potentiel pour être champion du monde et il faut pouvoir battre toutes les équipes dans tous les scénarios possibles pour remporter la compétition.

Quel joueur vous impressionne le plus ? Dupont, Ntamack, un autre ?
J’admire le calme, le leadership et le charisme du capitaine Antoine Dupont. Devant ou derrière, il y a beaucoup de leaders dans cette équipe et c’est ce qui a longtemps manqué en Équipe de France. Les joueurs ont des qualités exceptionnelles et ils imposent le respect. À chaque ligne, on a des leaders de jeu et de combat. Si je devais mentionner un autre joueur, ça serait Charles Ollivon.

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